La situation économique et sociale de Genève est dramatique pour sa population, sauf pour les riches. Gentrification, privatisation de l’espace, aménagement du territoire ou spéculation, autant de mécanismes face auxquels nous devons riposter en utilisant l’autogestion et l’autonomie.
Contre une ville pour les riches…
Depuis plusieurs décennies, nous voyons que la situation sociale et économique de Genève échappe au contrôle de sa population. Cette situation défavorable est évidemment avantageuse pour les riches propriétaires et les promoteurices . Nous avons identifié des mécanismes de rapports de forces qui expliquent cette situation : la gentrification, une politique de privatisation de l’espace et de l’aménagement du territoire et, enfin, la spéculation. Face à ces mécanismes, nous proposons d’organiser la riposte sur des bases d’autogestion et d’autonomie, afin d’améliorer la qualité de vie de l’ensemble de la population.
Gentrification
Les quartiers populaires sont en train de disparaître de nos villes. On entend par-là des quartiers dont la population est majoritairement composée de personnes issues de classes peu aisées, migrantxes et/ou raciséxes. Souvent ces quartiers sont plus investis qu’ailleurs : les habitantxes s’y connaissent depuis plusieurs générations, il y a des lieux de rencontre connus de touxtes, et parfois les habitantxes sont organiséxes autour de projets locaux. Ce sont des quartiers constamment stigmatisés avant l’arrivée des riches dans leurs rues.
Une des raisons de cette disparition est ce qu’on appelle la gentrification. Il s’agit d’un processus par lequel une population est progressivement remplacée par une autre, plus aisée. Il se produit grossièrement en quatre étapes, dont l’ordre n’est pas nécessairement fixe :
- Des habitantxes fraîchement arrivéxes, souvent jeunes et issuxes de classes sociales plus élevées, commencent à s’implanter dans le quartier. Attiréxes par son côté vivant, iels y apportent leur envie de lieux alternatifs et/ou tendance. Dans certains cas la gentrification commence avec l’arrivée de squatteureuses ou de jeunes artistes.
- Des commerces, arcades branchouilles et/ou espaces culturels destinés à cette nouvelle population s’implantent dans ce quartier et profitent de son cachet “populaire” et du prix modéré de la location.
- Ces espaces attirent à leur tour un public aisé, avide de nouveaux concepts branchés. Ce public change à son tour l’apparence du quartier.
- Les promoteurices sentent le bon filon et augmentent les loyers, sachant que le public riche qui fréquente désormais cet endroit sera ravi d’y trouver un appart’. La population initiale n’y trouve plus ni de lieux qui lui sont destinés, ni d’appartements où se loger selon ses moyens. Par la suite, la répression contre les personnes qui utilisent l’espace public de ces quartiers a tendance à augmenter afin de correspondre aux standards des riches qui y vivent. Ce processus sert donc une vision technocrate, raciste et capitaliste de la ville et celleux qui en profitent.
À Genève, il y a plusieurs endroits où une gentrification intense est en cours :
- Le quartier des Pâquis connaît depuis de longues années ce processus. La rénovation de logements sociaux en logements plus chers et l’ouverture de nombreux restaurants, commerces et hôtels pour bobos poussent celleux qui y habitent en périphérie de la ville. L’installation massive de caméras de surveillance en 2014 participe à la logique répressive décrite plus haut.
À la pointe de la Jonction, la ville est en train d’attribuer l’espace laissé vide par les TPG à un projet de village de food truck proposé par le Baroque, une entreprise sous le coup de la justice pour détournement de fonds. Cet espace, où les associations de quartier développent depuis plusieurs années des projets de jardins collectifs et d’espaces sportifs pour les habitantxes sera bientôt remplacé par des commerces inutiles et leur public, d’accord de payer 25 balles pour un sandwich. Pour compléter le tableau, les utilisateurices de l’espace public, les personnes qui y vivent ou y travaillent, se feront jeter ailleurs pour le confort des bourges. Ce processus d’exclusion est entamé depuis très longtemps, et ce projet n’est simplement que le dernier en cours. C’est une nouvelle étape pour un quartier qui a déjà été profondément impacté par l’installation de l’Université et du Musée d’art moderne et contemporain au milieu des années 1990.
Des “alternatives” existent à cette dépossession de nos lieux de vie, mais récupérées par les promoteurices ou l’Etat, elles participent à la gentrification et s’avèrent tout aussi mauvaises pour les populations précaires.
Par exemple, les coopératives jouent souvent un rôle de vernis pour masquer les volontés de l’Etat concernant l’agencement urbain. Elles sont les figures des alternatives “acceptables”, bon prétexte pour virer des immeubles à bas loyer ou des squats, comme ça a été le cas pour Artamis, espace de culture autogéré, transformé en éco-quartier bien comme il faut grâce à l’aide de la CODHA, de la coopérative Rue des Rois et d’autres. Mais l’utopie coopérativiste s’effondre quand on apprend que dans la plupart de celles-ci, les décisions sont prises par le haut, en concédant parfois une “consultation” sans pouvoir décisionnel des habitantxes. En définitive, elles suivent toujours une logique de privatisation de terrains publics lorsque ceux-ci sont donnés ou prêtés par l’État et s’adressent à des personnes ayant les moyens de débourser les importants fonds propres nécessaires à l’obtention d’un appartement.
De manière générale, beaucoup d’alternatives finissent par se faire bouffer par les autorités, perdant leur potentiel subversif, souvent après avoir accepté de grosses subventions. L’Usine, ainsi que la plupart des lieux de culture alternatifs qui font payer l’entrée de leurs salles de concerts entre 10 et 25 CHF (sans oublier le passage obligé et désagréable des sécus à l’entrée), en attestent.
C’est alors évident que pour l’Etat, les alternatives et la contre-culture c’est bien, mais seulement si elles servent leur volonté et ne gènent pas leur agenda.
Alors nous manifestons tout notre soutien aux associations, collectifs et individus qui se bougent contre ces processus de gentrification.
Privatisation et agencement de l’espace
Depuis maintenant 10 ans, la ville de Genève soutient une politique sécuritaire en faveur des dominantxes, c’est-à-dire des personnes aisées, blanches et valides. L’aménagement territorial pensé par et pour les classes dominantes a causé, au fil des années, la suppression ou le déplacement hors des centres villes des infrastructures d’accueil ou de soutien des personnes minoritaires ou en situation de précarité.
Pour citer quelques exemples les plus édifiants : bancs anti-sdf, lieux de détention à l’extérieur de la ville, foyers d’accueil à peine desservis par les transports publics, surveillance généralisée par caméras, répression systématiques à la fois de celleux qui font la fête, celleux qui font de la politique dans les rues et celleux qui n’ont pas d’autres choix que d’occuper les espaces publics. La forte présence d’un dispositif de surveillance et de répression dans les lieux de consommation de drogues, de travail du sexe ou dans les lieux principalement occupés par les personnes à la rue, banalise cette présence répressive au sein de l’espace public.
De plus en plus d’aménagements “anti” se sont donc infiltrés dans nos espaces publics. Il est essentiel de casser cette courbe exponentielle de sur-sécurité et de privatisation des lieux qui nous restent.
Notons que la volonté d’expulser les pauvres hors des villes et d’éloigner les centres de détentions, qui se multiplient sans cesse à la faveur de la logique sécuritaire étatique, a un impact fort sur les campagnes. A force de construire toujours plus, en déclassant le terrain agricole, nous perdons les moyens de produire de quoi nourrir la population et nous devons consommer toujours plus de denrées importées et produites par l’exploitation des pays du sud global, avec à la clé de gros profits pour les multinationales.
Aujourd’hui nous devons faire face à un aménagement territorial privé, pour les riches, et répressif. Lorsque les habitantxes sont consultéxes, c’est lors de séances d’informations où l’on fait semblant de les écouter et où leurs revendications ne sont jamais prises en compte. Le seul but de ces moments est de légitimer les projets destinés à enrichir un petit nombre au détriment de nos espaces de vie.
Reprenons le pouvoir sur l’aménagement de nos quartiers, pour des lieux de vie qui nous ressemblent. Organisons nous entre habitantxes, contre les promoteurices et les plans mégalomanes de l’Etat.
Spéculation
La spéculation, et plus généralement le pouvoir démesuré qu’ont obtenu les propriétaires et les régies immobilières depuis des décennies, sont deux autres facteurs qui expliquent l’évolution de notre ville en faveur des classes dominantes. La spéculation immobilière, c’est parier sur l’augmentation de la valeur d’un bien immobilier (appart’, immeuble, terrain) pour gagner un paquet de fric après sa revente ou sa location. Ça prend souvent la forme de pratiques inadmissibles comme de laisser vides de gigantesques surfaces ou d’augmenter sans scrupules le loyer entre deux locataires.
L’intérêt pour l’investissement dans l’immobilier, qui garantit souvent de gros profits, est particulièrement grand en Suisse et à Genève, où des acteurices très différentxes (caisses de pension, assurances vie, grosses entreprises comme m3, etc.) se battent pour s’accaparer les parts d’un marché ultra libéralisé. Le peu d’offre et la grosse demande de logements qui existent à Genève expliquent aussi l’explosion des prix. Le taux de vacance des logements dans le canton est aujourd’hui de 0.37 % mais personne n’ose parler de crise du logement. Dans le même temps, les immeubles entiers de bureaux vides continuent de pousser comme des champignons et continueront de se multiplier puisque ce sont des placements financiers de grandes multinationales ou de caisses de pension.
Ce sont les résultats de choix politiques qui donnent tout le pouvoir aux proprios et aux régies et qui priorisent la rentabilité sur les besoins des gens. On arrive alors à une situation absurde où des centaines de milliers de mètres carrés de surfaces commerciales sont actuellement vides, avec en parallèle des milliers de personnes qui cherchent un logement, pour lequel iels aimeraient arrêter de payer si cher.
Pour changer le rapport de force, on veut soutenir les luttes des locataires et de toutes les personnes qui cherchent un logement abordable, que ça soit par voie légale ou non. Et dans l’avenir, on considère nécéssaire que disparaîssent les proprios et les régies.
…Ripostes Urbaines !
Espaces non marchands
Face à cet urbanisme agressif, on veut lutter pour des lieux non-marchands. On veut voir se multiplier des espaces où l’argent n’est pas une condition pour avoir sa place ni un objectif, des lieux accessibles à touxtes, quelle que soit notre provenance sociale. Nous voulons des espaces qui refusent les dynamiques marchandes et capitalistes.
Nous luttons pour de tels espaces car nous pensons que la vie doit offrir plus que l’emblématique métro-boulot-dodo. Nous voulons des espaces de vies collectifs et chaleureux. Nous voulons un monde où chacunxe a le temps de rencontrer ses voisinxes, de les aider quand iels sont dans le besoin, le temps de voir grandir ses enfantxes et de passer un maximum de moments avec ses amixes au lieu de sacrifier sa vie pour le patronat. Un monde où les maisons appartiennent à celleux qui les habitent, où la terre est à celleux qui la cultivent, où la ville est à celleux qui y vivent.
Autogestion
Fonctionner en autogestion veut dire que les espaces de vie et de sociabilisation sont organisés par les personnes qui les utilisent. C’est considérer que seules ces personnes sont à même de choisir ce qui est bien pour elles.
C’est construire l’émancipation de touxtes à travers l’implication dans la vie collective. C’est donc aussi un moyen de lutte dans le quotidien, afin de parvenir à une autogestion et une émancipation généralisée.
À travers un fonctionnement horizontal éthique et politique, l’autogestion permet à touxtes de développer de la créativité et de mettre en place des solutions concrètes pour améliorer les conditions de vies de touxtes. Si les habitantxes d’un quartier prennent ensemble les décisions sur la transformation d’une place de marché en parc public et en font un lieux qui serve leurs besoins, alors ces personnes constituent un contre-pouvoir, qui empêche que ce lieu soit utilisé pour créer du profit.
Nous ne voulons plus d’une société basée sur l’individualisme et l’autoritarisme. Nous voulons construire des solidarités et organiser ensemble nos quotidiens.
Autonomie
On croit en l’organisation effective, dans le présent, du monde futur que l’on souhaite. Sur des rapports sociaux horizontaux et les plus détachés possible du pouvoir de l’Etat et du capitalisme.
Toute initiative qui met cela en pratique, telle que squatter des maisons et des immeubles, récupérer de la nourriture pour la collectiviser, pratiquer l’auto-réduction, refuser et contrer l’exploitation du patronat, nous semble positive.
Par autonomie, nous entendons aussi une pratique de lutte qui consiste à organiser horizontalement les groupes et les personnes qui cherchent à se défendre des attaques du capitalisme patriarcal, blanc et heterocissexiste. Pour renverser les différents systèmes de domination tout en préparant une société qui en est dépourvue.
Concrètement, ça veut dire refuser la main mise des partis et des syndicats sur les luttes, ainsi que toute logique autoritaire qui tenterait d’imposer une direction à celles-ci. Ces deux aspects de l’autonomie se renforcent mutuellement. Les espaces en dehors des logiques capitalistes et autoritaires permettent une plus grande autonomie pour les luttes et c’est pourquoi nous voulons les multiplier, tandis que beaucoup de luttes visent à créer ou défendre de tels espaces.
L’autonomie est donc à la fois notre but et notre moyen. Pour renverser le rapport de force et passer à l’offensive, mobilisons-nous. Contre des villes et un monde où tout est pensé par et pour les riches, ripostons en nous organisant, en développant des solidarités, en prenant ce qu’ielles essayent de nous vendre trop cher.
Contre les promoteurices, le patronat et l’Etat qui s’enrichissent sur notre dos, nous condamnent à la précarité, nous volent nos logements et nos vies.
Pour des villes qui nous ressemblent, des rapports sociaux vraiment vivants, des espaces de rencontres gratuits où l’on se sent bien, fortxes et où l’on se renforce,
RIPOSTES URBAINES !