Pas de Baroque à la Pointe de la Jonction ! Épisode 1 : Historique

Les anciens dépôts des bus TPG de la Pointe de la Jonction font l’objet de débats depuis plusieurs années. Pour mieux comprendre ce qui se trame sous les halles, et ancrer la lutte en cours contre la logique de marchandisation des espaces publics dans son histoire récente, dans ce premier épisode, Ripostes urbaines vous propose un historique.

 

Cela fait 25 ans au moins que la Pointe de la Jonction attise les convoitises des Conseillers d’État successifs, de la Ville de Genève et des partis politiques qui y vont chacun de leur petit projet. Petit florilège :

1997 Le conseiller d’État Philippe Joye rêve d’une Maison de l’architecture dans l’ancienne usine Kugler.

2002 A la suite de l’échec du projet de la place Sturm, on veut y implanter le Musée d’ethnographie.

2003 Le PDC propose d’ériger une ou deux tours de 150 logements chacune.

2004 L’Association pour une nouvelle Comédie vise la Jonction. On évoque aussi une Maison de la danse.

2007 Deux députés radicaux proposent un écoquartier avec une dizaine d’immeubles et 500 logements.

2008 Le concours Europan pour jeunes architectes prime deux Néerlandais pour leurs 300 logements avec parc public.

2010 Mark Muller rêve d’y implanter tout ou partie du Blue Brain Project, avant que ce dernier ne file à Lausanne. Genève ne sera pas la capitale des neurosciences qui ont le vent en poupe et engrangent les financements européens.

2011 Comme palliatif, le Conseil d’État présente un fabuleux projet : “La nouvelle Jonction – arts, neurosciences cité” soutenu par l’Université de Genève. Il est abandonné début 2013 par manque d’argent.

S’ouvre alors une décennie qui laisse la place à un projet plus concret qui finira par être accepté, celui d’un parc à la Pointe de la Jonction.

En 2010, le premier Forum de la Pointe de la Jonction se réunit avec une question : “Quel avenir pour la Pointe de la Jonction ?”. Les déclarations d’intention pour des projets pharaoniques se font moins pressantes et l’idée d’un parc apparaît comme une option de plus en plus précise. Tout au long de la décennie suivante le Forum de la Pointe de la Jonction sera partie prenante d’un processus participatif mis en place par les autorités et proposera des moments de réflexions et de discussion autour de l’avenir du lieu.

En 2016, une pétition pour un parc à la pointe de la Jonction est déposée par l’ARve, une des associations du Forum de la Pointe de la Jonction dont les autres membres se joignent à l’initiative. Elle récolte 5’500 signatures. En 2017, elle est adoptée à l’unanimité par le Conseil municipal, puis acceptée au Grand Conseil par 51 voix pour et 26 contre. Cette pétition “demande aux autorités de l’Etat de Genève et de la Ville de Genève de mettre tout en œuvre pour réaliser un parc public dès 2019, dans le cadre d’une démarche participative avec les habitant-e-s, usagers-gères et associations concernées.”

“En parallèle de ce processus législatif, le Forum a mis en place une démarche participative que le Forum a confié à l’association AIDEC, dont la première partie s’est déroulée entre mai 2017 et janvier 2018”, peut-on lire sur son site.

Fin octobre 2020, les derniers bus TPG quittent leur dépôt historique. La question est donc à présent de déterminer ce qui se passera sous ces immenses halles d’ici début 2026 au plus tôt, lorsque les travaux du parc doivent débuter. Durant une courte période au printemps, les Halles sont joyeusement peuplées de fêtes sauvages, de musiques et d’activités festives en tous genre. Assez vite, les autorités serrent la visse. On entend alors beaucoup parler de nuisances sur les berges du Rhône, et on envisage même de les fermer au public.

En juin 2021, la Ville de Genève lance un appel à projet pour les 5117 m2 dans les couverts N°2 et 3, à l’exclusion du Couvert N°1 déjà attribué au Forum de la Pointe de la Jonction. Loyer prévu : 50’000 en 2022 et 60’000 en 2023.

Quatre projets sont déposés. Un seul n’est pas commercial et il est directement écarté, celui porté par certaines associations du Forum de la Pointe. Pas de thune, pas de halle…

En août 2021, le projet de Spices SA – le Baroque est choisi par la Ville pour sa “solidité financière”. C’est donc une société anonyme qui possède cinq bars-restaurants pour banquiers qui sera chargée de “proposer un lieu pour tous les habitants, dans l’esprit de la Jonction”. En 2013, on proposait dans un de ces restaurants une bouteille de champagne à 80’000 francs…

En octobre 2021, une manifestation est organisée par les habitant.e.x.s et les associations du quartier contre le projet du Baroque qui réunit 300 personnes.

En novembre 2021, l’ex-comptable du Baroque passe en procès au Tribunal correctionnel pour le détournement de 4,2 millions de francs. La presse parle d’un “pillage organisé”, auquel auraient largement participé les deux frères Ghadiali, patrons du Baroque et leur cousin dont le procès pour malversation financière est toujours attendu. Le contrôle fiscal et la faillite prononcée à l’encontre de la société en 2017 mettent un coup à la belle solidité financière vantée par Barbey-Chapuis.

En février 2022, la Ville de Genève communique qu’elle retire l’exploitation des Halles au Baroque suite à la plainte pénale dont fait l’objet le Baroque. Elle clame sa méconnaissance de faits reprochés à son poulain. Le Baroque riposte en portant plainte contre la Ville concernant le retrait du projet.

Durant tout l’été 2022, la Ville de Genève met en place le projet Asphalte, des installation sportives sous les deux halles laissées vides.

En septembre 2022, La Ville de Genève perd contre le Baroque concernant le retrait du projet. Elle n’ira pas au Tribunal Fédéral. Le projet du Baroque est donc relancé et devrait ouvrir ses portes au printemps 2023. Plutôt que de tenir bon, et de maintenir qu’un projet proposé par des crapules n’a pas sa place dans l’espace public, les autorités plient.

En octobre 2022, un rassemblement de près de 200 personnes contre le projet du Baroque a lieu sur le site à l’appel des Jardins de la Jonction, qui regroupe les associations qui s’activent sous le troisième couvert exclu du projet du Baroque.

En décembre 2022, Riposte urbaine appelle à une grande fête foraine sauvage au titre évocateur Baraque à frites v.s. Baroque. Deux à trois cents personnes bravent le froid et prouvent qu’un lieu sans profit et sans Baroque c’est toujours un espace de gagné sur la logique du fric.